Le 4/20, ou le 4 avril pour nos contrées qui mettent le jour et le mois dans le bon ordre, est la journée mondiale du cannabis. Un genre de Canna Pride. C’est la translation d’une « tradition » des cannabinophiles qui consomment à 4h20 (enfin 16h20 dans nos contrées qui pensent correctes). Un genre de Tea Time pour stoners.
D’où vient cette tradition ? Va savoir. Plusieurs théories se confrontent et je prendrais bien le temps de vous les détailler, mais en fait on s’en fout. Mais alors totalement. Parce que ce 4/20 est bien sombre. Beaucoup s’en cognent comme de leur première couche. Ils regardent simplement leurs maigres réserves obtenues de haute lutte et à prix d’or en se disant fébrilement qu’il faut que ça tienne jusqu’au bout du confinement. Surtout ne pas gâcher. Préserver au moins le bédo du soir, une fois les enfants couchés, les courses grappillées, les obligations télétravaillées, les angoisses de l’actualité encaissées, les commandes livrées aux confinés ou la journée à l’hôpital terminée. Pour se détendre, appuyer sur pause, trouver du réconfort, réussir à dormir. Pour certains se soigner. Et tout simplement parce qu’on aime ça, pourquoi chercher des explications.
Alcool, tabac (vapotage, mais il a fallu négocier) sont considérés comme produits de premières nécessité. Psychotropes de prescription et TSO (traitements de substitution aux opiacés) ont obtenu des facilités d’accès et de renouvèlement des ordonnances pour éviter une privation qui viendrait s’ajouter aux autres bouleversements nombreux de notre quotidien cloisonné. Pour toutes les personnes consommant ces produits, une réponse est proposée. Même si cette réponse est largement discutable dans son application et dénoncée dans nos prises de position depuis le début de la « guerre ». Mais force est de reconnaitre que les besoins de cette population sont pris en compte.Et heureusement ! Est-il besoin de rajouter au stress de la situation exceptionnelle que nous vivons les affres du manque et plus simplement l’angoisse liée à la perte d’une habitude ?
Pour les centaines de milliers d’usagers réguliers de cannabis et les quelques millions d’usagers occasionnelles : tintin. Enfin si :
- Fumez pas tout comme des gorets, sinon y en aura plus.
- Prenez pas de risques en allant pécho parce que y a pas la case adhoc sur l’attestation.
- Profitez-en pour « décrocher » ou faire une pause.
- Evitez de vous reporter sur l’alcool et les cachetons.
- Décompensez en silence, y en a qui confinent.
- Soignez-vous avec de la vraie médecine de labo aux effets secondaires que vous aimez tant.
- et….Faites pas chier. Je résume, la liste est non exhaustive.
Soyons clairs, pour la majorité de ces personnes, point de « manque » ou de traumas profonds dûs à cette « pénurie » toute relative. Mais un inconfort. La sensation persistante d’être surtout déclassés dans notre société. Négligés. Des rebuts qui pour la plupart travaillent, contribuent à « l’effort de guerre » et à la vie sociale en général, voir même ne font pas de footing. Et qui en plus paient des impôts pour financer les agents qui les prennent pour cibles. Notre seul tort, préférer un produit qui n’est pas dans la liste validée. Une «mauvaise habitude », comme la qualifiait Obama (encore un oisif). Et comme il en existe tant d’autres. Pour mieux l’illustrer, le consommateur de cannabis est à l’addiction aux psychotropes ce que Netflix est à l’addiction aux écrans. Tout le monde sait l’état dans lequel nous plonge l’oubli de notre smartphone à la maison, sa perte ou son décès suite à une chute. Tout le monde, ces dernières semaines, a envisagé le chaos que représenterait le crash d’internet et du streaming. Vous serriez irritables, perdus, en quête d’un substitut (genre un livre ou autre divertissement analogique) ou tout autre chose passible de vous distraire ou juste de passer le temps. Cela fait-il de vous des addicts en manque chronique ? Bien sur que non. Et bien c’est EXACTEMENT la même chose pour les consommateurs de cannabis. Est-ce qu’il y en a pour qui c’est plus compliqué que ça ? Evidemment. Idem pour les écrans. Passer ses journées dans une salle de jeux en réseaux, c’est être dans l’abus. Fumer des pétards toute la journée aussi. Marier le café avec le calva au petit dej, pareil. Mais c’est loin d’être la majorité. Pour autant, la majorité des consommateurs de cannabis continue de subir les affres de cette prohibition en PLS comme notre système économique et social. Donc que reste-t-il à célébrer, si ce n’est 50 ans d’une prohibition édentée dont le confinement actuel vient de confirmer, même auprès des plus sceptiques, la totale ineptie ? Rien, si ce n’est la résistance à une discrimination d’un autre temps.
Perfide ironie du destin, que le cannabis, cette drogue d’oisifs patentés, vienne à manquer lorsque enfin l’inactivité est érigée au rang de grande cause nationale pour sauver la nation et son système de santé.
Georges Lachaze , le 04 avril 2020