Les flics, les juges ont abordé le Tour de France 98 comme un vrai repaire de tox et de dealers. Mais le public a soutenu ses champions, parce que se doper pour gagner, ce n’est pas comme se droguer pour planer.
Le dernier tour de France cycliste (celui de 98), aurait du s’appeler le Tour de la défonce tant l’ambiance qui t regnait du premier au dernier jour s’apparentait à l’univers commun de la drogue ? Tout commence par une saisie aux frontières du nord ou les gabelous ont plus l’habitude de renconter du hash ou de l’héro en provenance d’Amsterdam que de l’EPO à usage « sportif ». Scénario classique en matière de dope, le passeur Willy Voet prétend dans un premier temps que les doses trouvées dans la voiture de Festina sont destinées à sa consommation personelle. Après une garde à vue prolongée, en vertu de la loi sur les stupéfiants, il s’allongera comme tous les trafiquants, petits ou grands, attrapés la main dans le sac.
Shooteuse et ordo
Tous les flics des stups le confirment : « on demande le doigt et on obtient la main ». Si le dealer a son carnet d’adresse, le soigneur a son carnet de prescription et le coureur comme le junkey est familier de la shooteuse.
Mercredi 8 juillet : un soigneur de l’équipe cycliste Festina, est arrêté à la frontière belge. Dans sa voiture : EPO, anabolisant, seringues. Il est gardé à vue, puis mis en examen le 10 juillet.
11 juillet : le tour démarre à Dublin
17 juillet Bruno Roussel, directeur sportif de Festina, reconnait « une gestion concertée de l’approvisionnement des coureurs en produits dopants ». Il est mis en examen avec Eric Ryckaert, le médecin de la formation. Les 9 coureurs de Festina (dont Virenque, Zülle, Brochard, Dufaux) sont exclus du Tour.
28 juillet : 4 coureurs de l’équipe TVM se plaignent d’avoir été traités « comme des animaux » lors d’un contrôle à Albertville.
29 juillet : le peloton gronde. Laurent Jalabert et l’équipe Once quittent le tour suivis par les italiens de Riso Scotti puis les espagnols de Banesto. Le soir, à l’étape, Luc Lebalnc, de Polti se retire.
30 juillet : abandon des deux autres équipes espagnoles, Vitalicio et Kelme.
2 août : Tom Steels arrive en tête de l’étape des Champs-Elysées. Marco Pantani remporte le Tour et, comme il le dit lui même, « ça ne se fait pas aux spaghettis ».
L’un a besoin de la petite cuillère pour dissoudre le brown et l’autre de la glaciére pour garder le produit au frais. Si les uns craignent les overdoses, les autres ne sont pas à l’abris de la thromboses. Descentes de police, perquisitions, fouilles, garde à vue, prélèvement d’urine, prises de sang, tests en laboratoire, trafic internationnal, filières organisées, argent de la dope, ordonnance bidons… Le vocabulaire des commentateurs sportifs lors de la dernière édition de la plus grande épreuve cycliste du monde ressemblait à s’y méprendre à celui employé dans la presse à propos du « fléau de la drogue ». les deux mondes se rejoignent d’ailleurs dans le pot belge, coktail de cocaïne, morphine, héro, amphétamines, caféïne et antalgique en usage chez certain cyclistes et dont la découverte a laissé plus d’un « guédro » pantois. Cette avalanche de produits dopants –soigneusement ignorés par le milieu spécialisé qui affecte aujourd’hui la surprise- n’a pas empeché les cyclistes de clamer haut et fort : « Nous ne sommes pas des drogués, mais des sportifs de haut niveau ». On croit rever mais force est de constater que sur le bord des routes, le public est resté fidèle aux « géants du tour » et à Richard Virenque qui continue d’affirmer, comme le disent les Guignol, que s’il s’est dopé, « c’est à l’insu de son plein gré »
La justice et les instances sportives tireront les conclusions de leur enquête respectives, mais d’ore et déjà apparaît une théorie défendue ouvertement par certains médecins selon laquelle la prise de produits dopants sous encadrement médical est préférable à « l’automédication ». Dans une interview au Journal du Dimanche (15/8/98), Daniel Blanc, le médecin de Virenque déclarait : « Moi en tant que médecin, je suis confronté à la situation suivante : un athlète me dit s’être fourni en produits et il me demande mon avis. Je peux alors lui dire trois choses : tu es fou ça va te tuer » mais je n’en sais rien ; ou alors : « Je ne veux rien savoir, le dopage ça n’existe pas, débrouille toi » ; ou bien : « on va essayer de limiter les dégats ». La pire chose, c’est l’automédication, parce que les athlètes font alors des mélanges, augmentent les doses… » Et Daniel Blanc de prôner une libéralisation du dopage sous contrôle médical au nom des éxigences du sport moderne, du niveau des performances imposé aux sportifs dans le système actuel.
Contrôle médical
Ce discours est accepté par le grand public, « parce qu’avec les efforts qu’on leur demande c’est normal qu’ils prennent des trucs ».
Tous ceux qui prônent depuis des années la « limitation des risques » chez les usagers de drogues, ceux qui ont lutté pour obtenir les échanges de seringues, qui se battent pour ouvrir des « sleep’in » pour toxico et se heurtent à l’incompréhension, à l’inertie voire à l’hostilité (cf beaurepaire) des autorités comme des citoyens apprécieront cette ouverture d’esprit à l’égard des champions, mais ils ne manqueront pas de s’interroger.
Pourquoi l’usage de produits illicites serait « légitime » pour le sportif de haut niveau et pas pour le toxico ? Pourquoi l’échec patent de la lutte antidopage autoriserait il une poilitique de limitation des risques et pas celui de la lutte antidrogue ? Pourquoi celui qui triche avec le public en prenant de l’EPO aurait il droit à une meilleur considération que celui qui ne triche avec personne –sinon avec sa santé- en prenant de l’héro ? Quelle est cette société qui applaudit l’un et rejette l’autre, qui considère le dopé comme une victime et le drogué comme un déchet ?
Objectif performance
La réponse tient en deux mots : performance et compétition. Dans un monde ou la première est l’objet d’un véritable culte et ou la seconde a valeur d’art de vivre, tout est bon pour atteindre les objectifs y compris le dopage. La consommation de psychostimulants, d’amphétamines, d’antidépresseurs ou de bétabloquants chez les cadres de la « word company » en est une autre illustration. L’excellence assistée par la biochimie moderne est incontestablement devenue un pilier de la vie professionnelle, selon le docteur Patrick Laure, auteur des « Gelules de la perfomances » (ED. Ellipse). On estime entre 12 et 18% ceux qui usent de produits stimulants ou autre en dehors de tout suivi médical.
Comme les sportifs, les cadres revendiquent la libre disposition de leur corps – leur « outil de travail »- avec l’accord tacite de leur employeurs. « Qu’on ne s’y trompent pas, la performance sous gélules n’est pas un problème ethique », selon le sociologue Alain Ehrenberg. « Contrairement à la compétition sportive, aucune règle ne prohibe la consommation des drogues licites censés aider les cols blancs –et pas seulement eux- à penser mieux et plus vite. D’ailleurs, poursuit-il, inutile de se voiler la face, la frontière entre médicaments et drogues est de moins en moins nette. Je ne vois pas comment on pourra revenir en arrière ».
On comprend mieux dans ce contexte le rejet dont son victime les toxicos dont la consommation de produits est étrangère à des objectifs de productivité ou de rentabilité. On comprend mal en revanche au nom de quelle morale à géométrie variable on tolère et provoque le dopage pour la performance mais on refuse et réprime la drogue pour le plaisir.