Je pensais illustrer cette question à travers mon parcours : j’ai découvert sur le terrain cette histoire du communautaire, de l’autosupport et de la place des usagers, qui ne figuraient pas dans mes études de pharmacie.
Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.
Je suis arrivée à la mission Rave de Médecins du monde il y a douze ans, sans connaître le monde de la teuf et j’ai découvert l’intérêt de ce beau melting-pot d’usagers de différents milieux, de gens issus des sound systems, et d’intervenants. J’ai apprécié qu’il n’y ait pas de jugement et qu’on me demande mon avis en tant qu’étudiante en pharmacie. Un joyeux mélange où régnait un certain équilibre (un usager pouvait parler à quelqu’un de plutôt usager ou plutôt professionnel, selon ses envies). Une multiplicité de profils bénéfique au sein de la mission où on apprenait chacun des uns et des autres. Étant personnellement sur le dispositif d’analyse des drogues, on m’a très vite parlé de la proximité de l’usage, et du risque de devenir consommatrice ou de consommer plus. La question de qui est usager et qui ne l’est pas s’est donc très vite posée assez ouvertement au sein de la mission. Une première approche de ce qui était, selon moi, l’approche communautaire bien que Médecins du monde ne soit pas considérée comme une association communautaire.
Une étiquette qui enferme
J’ai continué avec le projet Squat qui m’a peut-être encore mieux fait comprendre ce qu’est l’approche communautaire. Mais les communautés sont parfois « enfermantes » car il n’y a pas un type de squatteur mais des squatteurs. C’est mettre une étiquette sur des gens (« es-tu issu de la communauté ? ») alors que ce qui est intéressant, c’est le mélange des communautés. Dans le projet Squat, on a retrouvé ce mélange de gens. Et bien que n’étant pas moi-même issue de la communauté, je pense avoir eu une approche communautaire qui, selon moi, n’est pas être issu de la communauté mais faire avec les personnes, quelles qu’elles soient. Si on se retrouve sur une question, si on est un peu intéressé, on arrive à faire ensemble et c’est ça qui est intéressant.
Une question de légitimité
Je suis maintenant sur le programme Erli, qui peut paraître beaucoup moins communautaire bien qu’il y ait eu, dans l’équipe, des usagers injecteurs ou non-injecteurs. Mais finalement, qu’appelle-t-on usager ? Est-ce être usager de cannabis ? Sniffer, gober, injecter ? À quelle fréquence ? Toutes ces questions sont de nouveau un peu trop caricaturales et certains n’ont pas forcément envie de s’identifier en tant que tels. Ceux qui ont des pratiques d’injection occasionnelles ne se considèrent, par exemple, pas toujours comme des injecteurs. Dire que l’on s’adresse aux injecteurs revient donc à résumer une personne à une pratique. Dans l’équipe, il y a effectivement des personnes qui pratiquent l’injection de manière occasionnelle, qui le disent et peuvent en parler et d’autres, qui ne le feront pas. Y a-t-il une utilité à le dire ? C’est la question de la légitimité. Moi, ma légitimité, je l’ai acquise sur le terrain. N’étant pas au départ consommatrice, j’ai dû aller chercher cette légitimité à intervenir mais finalement, un usager ne fera pas forcément un bon intervenant et lui aussi doit aller chercher une légitimité.
Le risque lié à la proximité des produits
Dans le programme Erli où on est en très grande proximité de l’usage puisqu’on voit des gens injecter, être usager et donc potentiellement tenté par ce qu’on voit est une vraie question. Parce que si on n’est pas au clair dans sa tête par rapport à ça, c’est un peu compliqué d’intervenir. Qu’on soit usager ou pas au départ, parce que la proximité des produits peut mettre en difficulté. Si on ne demande pas aux gens s’ils sont usagers quand on les recrute, il faut donc qu’ils se sentent libres d’en parler quand ils s’estiment en difficulté. Ce n’est pas évident à aborder et cela relève effectivement de la vie privée, mais plus quand cela risque de mettre sa vie ou celle du dispositif en danger. Et sur des dispositifs comme Erli, on n’a pas le droit à l’erreur. Le dire aux usagers qu’on rencontre n’est pas forcément utile à mon avis. Il y a différents cercles et différents espaces mais ce sont des choses qui devraient être plus largement réfléchies ou débattues.
L’auteure, Marie Debrus, est présidente de l’AFR et coordinatrice de la Mission Education au Risques Liés l’Injection (ERLI) de Médecins du Monde.
Cet article fait partie du dossier Les usagers-salariés du médicosocial.