Salle de shoot, légalisation des sulfates de morphine, méthadone en ville, cannabis thérapeutique, autant de serpents de mer qui n’en finissent pas de ne jamais commencer. Mais avec les « Nouvelles substances psychoactives » (dites « NPS » pour avoir l’air averti), pour une fois, tout est nouveau : les produits, les technologies, les modes d’acquisition, et même l’inclusion des consommateurs, c’est-à-dire la citoyenneté.
«Research Chemicals » (RC), « Legal High », « New Psychoactive Substances » (NPS), « Designer Drugs », MT-45, antagonistes des NMDA… ça vous parle ? Il s’agit pourtant d’un florilège du vocabulaire de base de l’amateur de substances interdites du XXIe siècle. Le mélange de sigles, d’anglicismes et de novlangue wikipédiesque, rend le dossier absolument hermétique aux dinosaures qui croient encore que la dope s’achète dans un képa vendu par des dealers. On cause molécules, dosages au micron où l’acide n’est plus que l’inverse de la base, bec Bunsen et tube à essai. Professionnels du champ, remisez donc vos œuvres complètes de Freud et vendez sur eBay votre exemplaire dédicacé de Surveiller et punir pour acquérir au plus vite Chimie 2000, le champion des cadeaux de Noël des années 70.
Légales avant interdiction
Les NPS devraient faire un tabac chez tous nos sympathiques amateurs de secrets, de langage codés, de réseaux parallèles. Les éternels comploteurs qui savent des trucs que seuls les initiés peuvent comprendre, une culture du complot partagée à la fois par les dealers et par la police. Perplexe devant un sachet de poudre blanche, un douanier de la Réunion a cru bon de vouloir la goûter avec son doigt. La suite se passe aux urgences psychiatriques, car l’absorption suffit à déclencher de puissantes hallucinations. Comble de l’ironie, cette substance n’était, à l’époque, pas encore classée stupéfiant, donc autorisée à la vente, et c’est le cœur du sujet : les nouvelles drogues ont comme particularité d’être légales… jusqu’à ce qu’elles soient interdites.
Lancées dans une course poursuite avec la loi, les NPS doivent leur succès à l’existence d’un espace juridique laissé vacant par les organes internationaux de classement des stupéfiants. Une substance apparaît, vit quelques mois de croissance sur la toile, avant d’être ciblée par les autorités et d’être remplacée par une petite sœur. Rien qu’entre 2013 et 2014, huit nouvelles familles de pilules du bonheur ont été identifiées par l’Agence du médicament (ANSM) : les phényléthylamines, les benzofuranes, les bonnes vielles cathinones, les cannabinoïdes de synthèse, les aminoindanes, les substances type phéncyclidine, comme la kétamine ou sa petite sœur la méthoxétamine, les pipérazines et enfin, les tryptamines.
Les nouvelles drogues nous obligent donc à regarder en face l’absurdité du système de classement. Constamment à cheval entre licite et illicite, poussées par une demande de plus en plus spécialisée, elles sont vendues sur des sites officiels, quand elles ne sont pas carrément légalisées comme en nouvelle Nouvelle-Zélande, où le Psychoactive Substances Bill a officialisé le commerce de certaines catégories de Designer Drugs. Dans un tel contexte, il est logique de voir les consommateurs et leurs associations demander des informations précises sur la composition exacte des échantillons et la nature des excipients. La logique de prohibition est mise à nu. Les autorités de Wellington ont compris que, plus le contexte est répressif, moins les vendeurs ont à répondre de la qualité de leur produit. Quand une substance est classée, elle quitte l’univers de la consommation pour plonger dans celui beaucoup moins fiable du deal.
Dénoncer l’absurdité du système
Symétriquement, les pouvoirs publics sont de plus en plus enclins à communiquer directement avec les usagers de drogues assimilés à des usagers du système de soins. Pilotés par l’Agence du médicament, les centres de pharmacovigilance (CEIP) ont récemment élargi leurs missions en direction des consommateurs. Les effets des NPS, le ressenti des usagers sont autant de jachères que la santé publique souhaite mettre en valeur. Depuis la mise en place de la politique de réduction des risques, et plus encore grâce aux dispositions relatives aux droits des malades, les usagers de drogues ont progressivement investi des espaces de citoyenneté garantis par la démocratie sanitaire et sa réglementation. Ce système a permis à Asud d’intégrer en 2013 la redoutable Commission des stupéfiants et des psychotropes. Véritable bras armé de la prohibition, cet organisme est poussé dans ses retranchements par l’existence même des NPS. La logique de classement oblige la Commission à se prononcer de plus en plus souvent sur le sort de telle ou telle nouvelle molécule et notre présence au cœur du système nous permet de dénoncer publiquement son absurdité. Nous sommes voués à devenir les avocats permanents des molécules mises en accusation. Mettre en exergue la contradiction induite par le mouvement intégratif de la démocratie sanitaire et la culture de transgression qui subsiste au sein de la communauté des usagers de drogues est, du reste, le sujet des 9èmes États généraux des usagers de substances.