H. conduit un bus à Londres où la drogue circule dans les 2 étages. Consommateur lui-même, il ferme les yeux, enfin pas trop…
F. est spécialisé dans le braquage de « particuliers bourrés de coco ». Le comble : ces messieurs/dames ont porté plainte et F. finit en taule.
D. fait la tournée des pharmacies du Var pour se procurer du Néo. Dans ses bons jours, il récolte quinze à vingt boites, consommées illico.
R. nous dit comment une cure d’Interféron® l’a conduit à placer le canon d’un 22 long rifle sur son cœur. Cinq petits cm de déviation d’impact lui permettent aujourd’hui de raconter son histoire.
D. adepte du « divin cannabis » et puis L. « dans son fameux taxi hollandais » qui l’a conduit directement à la douane.
J. lui va chercher de l’ibogaïne chez les sorciers Bwiti de la forêt congolaise.
F. encore, ce « retraité de l’arbalète » qui évoque le Golf Drouot des années 70, ces années de plomb qui changèrent l’or en poudre blanche.
S. qui demande, qui nous demande, combien de temps elle pourra tenir entre quatre murs.
Et puis d’autres encore, des lettres de taulards et de taulardes comme Y., jugé aux Assises pour avoir laissé sa copine se faire un shoot de curare…
Voilà un florilège de la nourriture de base du journal d’ASUD. Nous en publions des extraits dans le courrier des lecteurs. Mais, l’essentiel dort à l’abri d’un classeur poussiéreux au fond du local.
Un après-midi d’automne ou peut-être un matin d’hiver, Pierre Ouin, passe nous saluer comme souvent. Ce jour là, le papa de Bloodi me demande de potasser le fameux classeur. Un an plus tard, il en sort ce petit livre en forme d’hommage. Hommage aux oubliés de la guerre contre la drogue, les petits, les sans-grades, car comme je l’ai souvent répété la guerre à la drogue a, comme toutes les guerres, ses morts ses blessés et ses disparus.
Un siècle de guerre contre les drogués
En 1916, Antonin Artaud écrivait dans sa célèbre lettre à Mr le législateur : « les toxicomanes ont sur la société un droit imprescriptible qui est celui qu’on leur foute la paix ».
Malheureusement, presque un siècle plus tard, le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a pas été entendu. L’enfer des bonnes intentions s’est abattu sur les consommateurs de substances illicites. Traqués par la police, exploités par les dealers, décimés par les différents virus que la prohibition des seringues a diffusés, les usagés de la drogue occupent par millions (oui par millions !) les prisons de notre planète. La guerre à la drogue n’est pas un vain mot. C’est bien une véritable guerre qui est livrée non pas contre La drogue, les molécules chimiques étant par nature difficiles à menotter, ni même contre les trafiquants, mais contre le petit peuple des drogués qui pourrissent dans tous les coins craignos de nos cités.
Les morts, les blessés et les disparus, donc. Les morts et les blessés, je viens de les évoquer. Les disparus sont par définition des oubliés. Arrêtons-nous quelques instants sur ceux dont on ignore absolument le devenir parce que brusquement, la prison, la désintoxication ou la fuite ont interrompu votre relation, qu’elle soit affective, amicale, sexuelle ou les trois à la fois. Ces ruptures sont fréquentes, presque banales dans l’univers que la répression nous impose. Un jour… Plus rien… Même pas de vagues rumeurs, non,…rien !…Il y a aussi ceux dont on décide sciemment de ne plus avoir de nouvelles, par peur d’être renseigné …Définitivement.
Voilà encore une raison pour le journal des drogués heureux de faire parler La Drogue à la première personne du singulier. Nous recevons des lettres écrites simplement, pour extérioriser un vécu inénarrable, pour poser un moment le fardeau d’un quotidien un peu encombrant. C’est peut être la fonction primordiale d’une association comme la nôtre, permettre à la grande majorité des consommateurs qui ne se vivent ni comme des aventuriers, ni des rebelles et encore moins des délinquants, de poser leur sac dans la banalité d’une causerie de comptoir.
L’humour est politesse du désespoir
Pour naviguer dans l’étroit goulet qui sépare l’exhibitionnisme du pittoresque, une solution existe, c’est le rire.
C’est le rire qui nous fait adorer Bloodi, qui pourtant n’est qu’un punk vivant dans une poubelle avec un rat. Le rire est l’arme du pauvre. Il. nous sert de cache-sexe pour exposer notre quotidien de Martien. Le rire est une valeur commune du journal d’Asud et de l’univers de Pierre Ouin, parce que le rire est une forme de pudeur. Il permet d’échapper à l’œil du voyeur, effrayé par l’éclat insolent de la caricature.
Quelqu’un a dit : « l’humour est la politesse du désespoir ». Il avait compris que dans son énormité, le malheur est horriblement grossier. Il s’empare sans ménagement de nos petits égoïsmes sans se soucier de l’habituelle culpabilité qui accompagne l’énoncé de la misère d’autrui. Pour éviter ça, rien de mieux qu’une tarte à la crème !
Alors bonne lecture, le rire permet à votre cerveau de fabriquer des particules chimiques voisines de la structure moléculaire des produits opiacés et jusqu’à présent le rire est encore légal…Quoiqu’à bien y réfléchir, ne laissez pas traîner ce bouquin, on ne sait jamais.