Une question absurde à première vue, face à la multiplication et à la pérennisation des Caarud découlant de l’institutionnalisation de la réduction des risques. Plus personne – ou presque – ne regrette, en effet, le temps où la survie des programmes d’échange de seringues et des « boutiques » dépendait de financements multiples et précaires.
Au-delà de cette seule santé financière, c’est pourtant la philosophie même du dispositif qui pose aujourd’hui problème. Car quand la parole et l’accompagnement sur les produits et les usages disparaissent au profit des actes sociaux (CMU, RMI…), et quand la distribution de seringues est le seul lien qui subsiste entre intervenants et usagers, c’est tout le dispositif qui se vide de son sens. Et c’est d’autant plus dramatique, qu’à l’heure où la lutte contre le VHC s’enlise et où le message sur la seringue unique ne suffit plus, il faudrait accompagner les usagers au plus près dans leurs pratiques d’injection. Demandez donc à un intervenant ce qu’il y a dans un Kit+ et comment l’utiliser précisément….
Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur les Caarud, et encore moins sur leurs intervenants. Le problème est avant tout systémique et précède, pour partie, l’institutionnalisation de la RdR en 2004. Dès la fin des années 90, les conditions d’entrée « bas seuil » des boutiques ont, en effet, favorisé l’afflux d’une population d’usagers de drogues très précarisés. Demandeurs de services sociaux et d’aide à la survie, ces derniers avaient tout à perdre à parler de leurs consommations. Et les intervenants, trop occupés à palier les insuffisances du système de droit commun, ont été débordés par les demandes et l’engrenage de l’urgence et de la précarité. La parole et l’accompagnement sur les consommations se sont alors insidieusement délités tandis que, se bornant à évaluer le nombre de seringues distribuées et les files actives, les autorités incitaient à faire du chiffre.
Cependant, si rien n’est fait, l’institutionnalisation de la réduction des risques va mettre fin à ce qui devrait être le cœur de métier des Caarud : l’accompagnement et le conseil sur l’usage de produits psychoactifs. Pour satisfaire aux conditions d’homologation, les centres doivent désormais recruter des diplômés, en l’occurrence souvent des éducateurs. Qui, comme tous les travailleurs sociaux, n’ont acquis aucune compétence sur le conseil en matière de produits au cours de leur formation initiale, et qui n’iront certainement pas s’aventurer d’eux-mêmes sur ce terrain qu’ils ne maîtrisent pas, qui les met en défaut face aux usagers, et que la structure n’encourage pas.
Pour renverser la tendance, et en particulier pour pouvoir lutter efficacement contre le VHC, il est donc urgent de s’interroger sur le concept et la pratique de la réduction des risques dans ce nouveau système institutionnalisé. Urgent de repenser la place de l’accompagnement à l’usage, de redéfinir les métiers du social (par exemple celui d’éducateur dans un Caarud) et les compétences associées à ce nouveau contexte, mais aussi de construire des méthodes d’interventions, sans quoi les savoir-faire développés resteront conceptuels…
En signe d’espoir, les projets d’accompagnement à l’injection ou de conseils personnalisés, qui émergent dans certains Caarud novateurs, pourraient indiquer la voie à suivre. Encore faut-il trouver la volonté et les compétences pour pouvoir les étendre au reste du dispositif…