Autosupport des usagers de drogues

Vers la fin d’un tabou

Vers la fin d’un tabou

Quand Monique Pelletier proposait de dépénaliser l’usage du cannabis et de fixer un seuil le délimitant en 1978, elle faisait preuve de plus d’audace que l’actuelle Garde des Sceaux qui, dans un décret publié par le Journal officiel le 15 octobre 2015, propose de punir l’usage d’une simple amende. Un décret qui aurait déclenché une salve de propos outragés (comme ceux de l’indéboulonnable Philippe Goujon, qui a profité de la séance des Questions au gouvernement pour s’insurger contre la politique laxiste de la Garde des Sceaux.) de la part de politiciens de droite et de l’Académie nationale de médecine, il y a quelques années.

La « composition pénale »

Aujourd’hui, à part les réacs qui voient dans la dépénalisation de l’usage une ruse pour aller plus avant et ceux qui estiment que c’est une étape obligatoire sur la route de la légalisation, cette dernière (qui a pour vertu de désengorger les tribunaux et éventuellement de renflouer les caisses vides de l’État) est pratiquement acquise. Signée par le Premier ministre, le ministre des Finances, le ministre de l’Intérieur et la ministre des Outre-mer, mais pas par la ministre de la Santé, la « composition pénale » permet à un officier de police judiciaire de dresser (avec l’aval du procureur de la République) un procès-verbal d’une somme inférieure à 180 € à toute personne prise avec… une quantité de cannabis correspondant à son usage personnel, une notion laissée dans le flou.

Aujourd’hui, qui se fait prendre avec quelques grammes de cannabis s’en tire avec un rappel à la loi, et s’il est par malchance condamné à une amende, il y a de fortes chances pour qu’il ne la paie jamais. Demain, « composition pénale » oblige, le même contrevenant devra s’acquitter sur le champ d’une amende délivrée par un agent de police. Et ce que les médias interpréteront comme une dépénalisation ne fera que « renforcer le caractère systématique de la sanction », comme le souligne Ivana Obradovic, directrice-adjointe de l’OFDT. Et ce sont bien évidemment les jeunes (ainsi que leurs parents) qui feront les frais de cette mesure s’apparentant à un racket.

Enfin la droite la ferme…

Si les Ciotti et autres Estrosi, farouches partisans de la tolérance zéro, n’ont pas sauté sur l’occasion pour taper sur les doigts de Christiane Taubira, c’est parce qu’ils ont jugé que le jeu n’en valait plus la chandelle. « L’existence d’une loi dure, très dure, parfaitement vidée de son sens par une application molle, très molle. La loi est dure, mais chacun sait qu’elle n’est pas appliquée », constatait Nicolas Sarkozy qui, lors de son audition par le Sénat en 2003 dans le cadre du rapport Drogue l’autre cancer, proposait de remplacer la peine de prison pour simple usage par une contravention de 1 500 € assortie de peines complémentaires, dont la fameuse saisie du portable ou du scooter. Une proposition que le Circ dénonça en son temps et que Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, rejeta, craignant que cette réforme soit un mauvais signal pour la jeunesse.

La droite, qui se la jouait coincée jusqu’à aujourd’hui, entrouvre la porte. Un élu des Républicains, pour l’heure anonyme, proposerait volontiers de nationaliser le cannabis afin de lutter contre le terrorisme, une idée qui pourrait s’avérer payante à plus ou moins long terme. Imaginez que le candidat de droite à la présidentielle inclue dans son programme – au nom de la lutte contre le terrorisme, mais aussi pour mettre du beurre dans les épinards de l’État – de nationaliser le cannabis, il ringardiserait grave la gauche et récupérerait les voix d’une partie de la jeunesse qui n’a aucune culture politique (64% des 18-30 ans se sont abstenus aux dernières élections régionales de décembre 2015 et 34% des 18-24 ans ont voté FN).

… mais la gauche l’ouvre !

Vers la fin d'un tabou Pascal 1Est-ce l’absence de réactions hystériques suite à la décision de la Garde des Sceaux qui a poussé quelques députés socialistes à sortir du bois et à passer outre les propos du Premier ministre, lequel déclarait sur les ondes de France Inter : « On peut toujours débattre de ces questions mais le gouvernement ne prendra aucune initiative qui légalise, autorise, dépénalise l’usage du cannabis… » ?

Le décès de trois gamins au pied d’un immeuble dans une cité marseillaise a libéré la parole. D’abord Patrick Menucci qui, après avoir rendu hommage au travail « exceptionnel » des policiers, dénonce la guerre à jamais perdue contre la drogue et propose de créer une filière « de la production jusqu’à la distribution » sous monopole d’État… Dans un un débat organisé par la Provence, le député socialiste, qui a été correctement briefé sur le sujet, affronte Valérie Boyer du parti Les Républicains, l’occasion de vérifier que tous les arguments de la député en faveur de la pénalisation sont périmés. Ensuite, parce que plusieurs élus d’Europe Écologie Les Verts et du Front de gauche ont partagé la proposition de Patrick Menucci.

Puis ce fut au tour de Bruno Leroux, président du groupe socialiste à l’Assemblée et député de Seine-Saint-Denis, de militer pour l’ouverture d’un débat (rien de bien original) et de dénoncer les démagogues du parti Les Républicains, qui « crie au laxisme avant même d’avoir réfléchi ».

Depuis plusieurs années déjà, des responsables politiques maires et/ou députés, quotidiennement confrontés à la violence liée aux trafics, tirent la sonnette d’alarme et interpellent leurs collègues sur l’urgence d’inventer une alternative à la prohibition afin d’éviter que les mafias prennent le pouvoir. Ces positions novatrices ont notamment été incarnées par Stéphane Gatignon, maire de la ville de Sevran (93), qui a coécrit un livre avec Serge Supersac (commandant de police à la retraite) en 2011 : Pour en finir avec les dealers, éditions Grasset

Quand le débat devient incontournable

On ne compte plus les occasions de parler du cannabis, une drogue populaire dans toutes les classes sociales. Éditos et chroniques démontrant la dangereuse inutilité de son interdiction prolifèrent à la télé comme à la radio.

La dernière occasion (avant la prochaine) de communiquer sur les méfaits de la prohibition nous est donnée par le rapport que publie l’OFDT sur la répression. Petit rappel : de 1970 (année où a été votée la loi) à 2014, les infractions à la législation sur les stupéfiants ont été multipliées par 50, atteignant le chiffre stupéfiant de 200 000 en 2013, dont 90 % concernent le cannabis. À noter également que les interpellations pour usage ont augmenté trois fois plus vite que celles pour revente ou trafic. En 2013, 33 645 personnes (record battu) ont été condamnées pour usage simple. Et si les trois-quarts des décisions prononcées sont des alternatives aux poursuites, le « rappel à la loi » arrivant largement en tête (83 %), devant les injonctions thérapeutiques (13 %), il y a encore en France 1 400 personnes condamnées à de la prison ferme pour simple usage. Un chiffre qui laisse sans voix et qui plaide en faveur d’une refonte urgente de la loi de 1970.

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