Alors que les Américains connaissent depuis dix ans ce qu’ils appellent eux-mêmes une « épidémie d’addictions aux opioïdes et à l’héroïne », le laboratoire pharmaceutique californien Zogenix a mis sur le marché au printemps dernier un nouveau produit : l’hydrocodone bitartrate.
Comme l’OxyContin®, longtemps tête de gondole des narcotiques les plus détournés aux USA, il pourra être pulvérisé et ingéré de façon à décupler ses effets et leur intensité. Le ZX002 ou Zohydro® ER est un opiacé à effet prolongé (douze heures) 5 à 10 fois plus dosé que le Vicodin®. Ce dernier est un cocktail d’ibuprofène et d’hydrocodone, dont la popularité aux US est de notoriété publique. En 2010, c’était le médicament le plus prescrit outre-Atlantique : 131 millions d’ordonnances remplies.
Une autorisation de mise sur le marché olé-olé
En France l’hydrocodone est classé stupéfiant. Il n’est pas commercialisé car on préfère les anti-douleurs à base de morphine.
Le jour même où la Food and Drug Administration détaillait de nouvelles restrictions fédérales concernant les hydrocodones combinés comme le Vicodin®, elle annonçait l’autorisation de commercialisation du Zohydro®. Et ce, contre l’avis de son propre comité consultatif. Tandis que l’indignation monte parmi les responsables de santé publique, il semblerait qu’un autre produit, le Moxduo®, une mixture de morphine et d’oxycodone, devrait aussi être commercialisé prochainement. Tant d’incohérences au sein de la FDA peuvent laisser songeur, mais elles s’expliquent assez aisément.
Depuis quelques années, « Big Pharma » a du souci à se faire. Elle ne fait plus partie du « Fortune 500 », le classement des « most profitable » industries. Les profits baissent et les brevets tombent dans le domaine public. Une des solutions pour permettre de se refaire a consisté à faire assouplir la législation relative aux cycles de tests cliniques des nouveaux produits, et, par ailleurs, à inciter les prescripteurs à étendre l’usage des opiacés.
Big Pharma en embuscade
Décidément tout, absolument tout ce qui a été successivement inventé pour remplacer l’opium aura été une catastrophe sanitaire !
Maintenant que c’est chose faite, on peut se demander comment des millions d’Américains1 se retrouvent à croquer autant d’antidouleurs narcotiques, jadis réservés aux patients en phase terminale. C’est parce que « Big Pharma » a arrosé les médecins-conseils afin qu’ils suivent leurs recommandations de prescription de narcotiques. D’après le Milwaukee Wisconsin Journal Sentinel, citons à titre d’exemple le cas de l’American Geriatrics Society qui amenda en 2009 ses recommandations aux médecins, les poussant à prescrire « plus rarement de l’ibuprofène et du naproxène, au profit d’opioïdes pour tous les patients souffrant de douleurs modérées à intenses »2. Ben voyons. La moitié des experts du panel était également conférencier, consultant ou conseil suborné par l’industrie des opioïdes au moment de la publication du rapport. L’université de Wisconsin a aussi encaissé 2,5 millions $ provenant de l’industrie des opioïdes destinés à son « Pain & Policy Studies Group », alors qu’elle prônait un élargissement de l’usage des analgésiques narcotiques.
So ? What else is new ?
D’après l’enquête du Trust for America’s Health, une organisation à but non lucratif basée à Washington D.C., les drogues les plus fréquemment prescrites, genre Vicodin®, Xanax® et Adderall®, causent davantage de morts que l’héroïne et la cocaïne combinées. Certains États paient un tribut plus élevé que d’autres, la Virginie de l’Ouest, le Nouveau-Mexique et le Kentucky se distinguant par leur nombre de décès par overdose. Mais le constat reste valable pour l’ensemble du pays. D’après le Center for Disease Control and Prevention, près de la moitié de la population étasunienne prend au moins un des médicaments impliqués dans la mort de 100 000 Américains par an. Une population de 300 millions d’habitants divisée par 2 = 150 millions de clients plus que fidélisés. Yeah ! 415 $ le flacon de 60 cachets de Zohydro® en pharmacie (20 à 30 $ le cachet dans la rue, ça fait 1 800 billets verts), les actionnaires vont être contents.
Y a-t-il un pilote dans l’avion ?
Ben, non. Et c’est bien le problème quand une prétendue « main invisible de l’économie » dicte ses exigences de rentabilité, au détriment de la vie elle-même. Le Zohydro®, futur OxyCodin® 2.0 : la marchandise idéale. Et qui fait gober toutes les autres.
En attendant, le bilan humain est plutôt lourd : plus de 17 000 décès par overdose d’opiacés par an. Et les hospitalisations pour surdose due aux narcotiques de synthèse sont passées de 299 000 en 2001 à 885 000 en 2011. Taxé de légèreté et d’avoir fait primer les intérêts de Zogentix sur ceux des consommateurs, le porte-parole de la FDA, Morgan Liscinsky, opina : « Les prescripteurs disposent maintenant d’une option hydrocodone pour les patients requérant un opiacé à effet prolongé. » Ouf ! Tout va pour le mieux, alors…
Notes :
1/ ↑ Représentant à peine 5 % de la population mondiale, les Américains consomment 80 % des produits opioïdes, d’après ABC News. ↑
2/ ↑ Grâce à cette opportune réévaluation du rôle des opioïdes dans la pharmacopée, Businessweek relève qu’ils sont maintenant prescrits pour une large palette de pathologies : douleurs lombaires, céphalées, arthrite, fybromyalgies, douleurs dentaires, dépressions et même dans des cas de « chômage ». ↑