Éducatrice au Bus 31/32 à Marseille, Pauline raconte une journée de combat ordinaire pour qu’un usager placé en garde à vue puisse recevoir son traitement de substitution aux opiacés (entre autres).
Un matin de mai, je suis au local à faire un point sur le stock de matos du PES (programme d’échange de seringues) lorsque vers 11 heures, le téléphone sonne :
« Bonjour, je suis psychiatre à la Conception1 et je viens d’être appelé par le commissariat pour un gardé à vue un peu excité… Enfin… Comment dire, je viens d’arriver aux geôles et ça va pas du tout ! Il me dit qu’il est suivi par votre structure… Et puis je me demandais, enfin si vous pouvez… lui amener son traitement ? Désolé, je ne suis vraiment pas habitué, je ne sais pas trop comment ça se passe dans ce cas-là. »
Le ton est donné. J., un jeune de 25 ans est en manque depuis plus de vingt-quatre heures, et l’heure tourne… Je fais le point avec ce fameux psychiatre, un peu paniqué à l’annonce du traitement conséquent du garçon (métha, Seresta®, Stilnox®, etc.). Les flics ne lui ont rien communiqué sur une quelconque procédure, ils l’ont appelé, il l’a vu, et maintenant… ben, il se débrouille. Je passe le téléphone à ma collègue médecin pendant que je prépare mon sac dans l’idée de lui amener tout ça le plus vite possible. Par chance, c’est un jour où j’ai ma carte d’identité sur moi. Dernier point avec le médecin, qui me remet tout son traitement pour un jour et m’explique que si je me dépêche, le psy fera le lien avec J. Pas besoin d’ordo, rien, le mot d’ordre, c’est « vite, vite, VITE » ! Je prends le nom du doc et de l’officier de police judiciaire (OPJ) à demander en arrivant, et je cours prendre le métro.
Sur la route, je pense à J. que je connais bien, il doit péter les plombs. Il est en garde à vue (GAV) depuis plus de vingt-quatre heures parce qu’il s’est fait défoncé la tête par un vigile de la gare et qu’il n’a pas dit merci… En gros, c’est lui qui se fait agresser et se retrouve à la fois en GAV et en manque… Bref, il doit nager dans le bonheur.
UNE QUESTION DE CHANCE
Il y a plusieurs mois, une travailleuse sociale avait travaillé sur l’accès aux traitements de substitution aux opiacés (TSO) en garde à vue. Elle faisait le lien avec les autres centres, et accédait aux geôles (cellules de GAV). Ce n’était pas parfait, mais ça avait au moins le mérite d’être là. Ce poste n’existe plus. Tout dépend maintenant du bon vouloir de l’OPJ présent sur les lieux qui décide de nous appeler… ou pas. Une fois, on nous nous a même proposé d’amener des seringues avec le traitement… Mais souvent, les gars sortent après soixante-douze heures de GAV et débarquent chez nous en état de manque infernal.
11h25 : J’arrive au commissariat et découvre une belle file d’attente jusqu’au guichet d’accueil.
11h40 : Je me dis que si je ne passe pas maintenant, je vais louper le psychiatre, alors je tente d’interpeler une fliquette qui passe par là. Elle est au courant : « Ah oui, le jeune qui gueule en bas, attendez ici, je vais appeler les geôles. »
12h00 : Jour de manif, on nous enferme dans le commissariat le temps que le cortège passe sur La Canebière et toujours personne pour me renseigner, alors je retourne au guichet et réexplique. Ils ne sont pas du tout au courant car évidemment, entretemps la fliquette est partie en pause déjeuner. « Vous êtes sa compagne ? Non ? Eh bien, je ne sais pas si ça va être possible, attendez là, je vais me renseigner. » Mais oui, bien sûr, pourquoi ne suis-je pas sa compagne ? Cela aurait été plus simple, ils commencent sérieusement à… J’appelle ma collègue de l’Observatoire des droits des usagers (ODU) d’Asud. Ça fait plusieurs mois qu’on réfléchit ensemble sur la délivrance des TSO en GAV, car je connais bien la situation marseillaise et à ce niveau, disons-le clairement, Mars est dans le cosmos !!
« POURQUOI IL PREND AUTANT DE MÉDOCS ? »
12h30 : « Comprenez mademoiselle, il y a actuellement vingt entrées en GAV mais après, on s’occupe de vous. » Ils me demandent de patienter encore un peu, juste un peu. Je fais les cent pas dans le hall, on me demande à plusieurs reprises de m’asseoir et d’attendre calmement.
13h30 : Mon premier contact – la fliquette – revient de sa pause et me fait un grand sourire. « Ben alors, vous êtes encore là, c’est pas réglé cette histoire ? Il va nous retourner le sous-sol si ça continue… Bon, je vais voir ce que je peux faire. » Cette fois, je ne la lâche pas d’une semelle, elle appelle les geôles devant moi : « Alors J.C., il y a toujours le médecin du jeune excité d’hier, elle lui amène ses trucs, tu sais. » Elle rit : « Eh bien, c’est pas simple, il est très agité votre patient, pourquoi il prend autant de médocs ? » Oui, enfin, je ne suis pas son médecin… énervée, je suis.
Nous sommes maintenant l’après-midi, c’est la relève des geôliers, et J. est vraiment le cadet de leur souci. À nouveau, on me dit que d’ici une demi-heure, ça sera bon. Je fais le pied de grue devant le comptoir d’accueil. Voyant que je m’impatiente, un policier m’interpelle en me demandant l’ordonnance… que je n’ai pas car tout avait été organisé avec le psy que je devais voir en arrivant. Quelle erreur de ma part, le médecin en question est parti il y a bien longtemps. Et du coup, retour à la case départ, il me faut cette ordo. J’appelle donc le médecin de 31/32 pour qu’elle me faxe tout ça au numéro qu’on me donne.
14h00 : « Non, pas de fax, on n’a toujours rien. Ah mais oui, pardon, on a changé de numéro il y a quelque mois. » Évidement ! Je demande à voir l’OPJ, ce n’est pas possible, je transmets trois nouveaux numéros de fax à ma collègue. Heureusement, le jeudi dans notre structure, j’ai le temps, contrairement à J. qui poireaute toujours, ça me rend folle ! Comment, en 2016 à Marseille, peut-on être autant à la masse sur le droit des usagers ? On en est à vingt-sept heures de GAV et l’heure continue de tourner !
15h00 : Après plusieurs péripéties du même genre, un geôlier arrive à l’accueil, je me rue sur lui. Il fait le point avec moi sur le traitement et non, c’est pas simple : trois comprimés à prendre avec de l’eau plus deux fioles de sirop, je ne sais pas s’il va s’en sortir le gentil fonctionnaire… Bref, j’insiste lourdement sur l’importance que tout cela lui soit délivré au plus vite et repars en croisant les doigts.
Le lendemain, J. est présent sur notre unité mobile avec une tête à faire peur : le nez cassé et bien tordu, et deux énormes cocards, mais il garde le sourire. Je le laisse tranquillement voir l’infirmière puis discute avec lui. À aucun moment il n’a su que j’étais au commissariat, il a eu la moitié de son traitement vers 19h00, juste avant d’être libéré, soit quatre longues heures après ma discussion avec le flic des geôles. Il ne comprend pas mon énervement : « Ça va Pauline, c’est pas ma première gardav et d’habitude, j’ai rien du tout, mais merci beaucoup, c’est sympa. » Il me prend dans ses bras et retourne avec les autres. Aucun droit, rien, et quand il en a un peu, c’est déjà ça. La page de réclamations écrites au commissariat pendant mes longues heures d’attente aura-t-elle une suite ? J’ai pourtant bien inscrit les coordonnées du Csapa et relaté mon aventure en détails, mettant en avant le droit des usagers de drogues, etc. Un mois après, toujours pas de nouvelles et je n’en attends plus. Combien de Caarud et de Csapa ont un petit dossier « Délivrance TSO en garde à vue » avec des histoires similaires ? Combien d’usagers de drogues seront encore traités comme des sales tox dont tout le monde se fout ? L’ODU a , malheureusement , encore de beaux jours devant lui.
PATIENTS SOUS TSO EN GAV, QUELS SONT VOS DROITS ?
1°) Si vous êtes en possession d’une ordonnance de TSO, le commissariat est tenu de prévenir votre centre, votre cabinet médical, ou la personne de votre choix qui sera susceptible de le faire.
2°) Si vous n’avez pas votre ordonnance, la visite d’un médecin est obligatoire au bout de la première heure de GAV (art 63-3 du code de procédure pénale).
3°) La visite d’un avocat, éventuellement commis d’office, est également obligatoire (art 63-4).
Sources
TSO : Manuel des droits des usagers des traitements de substitution aux opiacés (Asud)