Une fois de plus, les médias « grand public » parle du Subutex®, ce médicament de substitution à l’héroïne, pour dénoncer des pharmaciens trafiquants, des médecins corrompus, et des dealers non concernés par le système de soins! Une fois de plus, les journalistes ne voient que les trains qui n’arrivent pas à l’heure ! Ce procédé, privilégiant le sensationnalisme du contexte électoral, consiste à ne parler de substitution que lorsqu’ il y a des ratés. Cela nous paraît dangereux. Il stigmatise encore plus les patients sous substitution (qui ont déjà du mal à se défaire de l’étiquette de drogués), fait peur aux acteurs du soins qui voudraient s’engager dans la substitution, attise les foudres de l’opinion public qui ne comprend guère que l’Etat puisse « donner des drogues aux drogués » et met en danger l’ensemble du dispositif, qui bien qu’imparfait, demeure une réussite typiquement française
Pour faire balancier avec ce catastrophisme, il est alors grand temps de faire entendre la voix des personnes dépendantes aux opiacés et de rappeler que depuis le milieu des années 90, avec l’avènement de la politique de réduction des risques et la mise en place des traitements de substitution aux opiacés, notre vie a radicalement changé :
- Nous avons pu en finir avec toutes les années de galère, sans cesse à la recherche de produits, et avons pu, enfin, nous poser pour reconstruire nos vies affectives, familiales et sociales, retrouver un emploi et un logement.
- Pour beaucoup d’entre nous, elle nous a permis aussi d’éviter la prison, en disposant d’un traitement qui nous coupe du milieu du marché noir et du bon vouloir des dealers. Nous sommes passé ainsi du statut de délinquant à celui de malades, récupérant aux passage celui de citoyen, qui nous avez été confisqué en criminalisant l’usage de drogue.
- Des vies ont pu être sauvées grâce à la réduction de la consommation d’héroïne et des risques liés à sa consommation (injections, sniffs). Par exemple, le nombre d’overdoses à l’héroïne à été divisé par dix.
- Elle a permis que les personnes dépendantes aux opiacés aient accès aux soins : avant la substitution, l’accès a n’importe quel soins était conditionné à l’arrêt de la consommation de drogues et donc à un sevrage. Les personnes dépendantes, qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas se sevrer étaient donc exclus de tout dispositif sanitaire.
- Combiné à la politique de réduction des risques (échange de seringues, information sur les produits), la substitution a permis que le taux de contamination par le virus du VIH des personnes usagères de drogues par voie intraveineuse chute de manière vertigineuse pour être aujourd’hui proche de zéro.
- Enfin, la grande souplesse de prescription du Subutex® (qui peut être prescrit par tout médecin généraliste) est une force du système français, qui a permis un accès généralisé à la substitution. Nombre d’entre nous, n’aurait pas intégrer un programme de méthadone, dont les contraintes sont lourdes, et aurait préféré rester dans la clandestinité et l’illégalité, si le Subutex® n’avait pas été mis sur le marché de cette manière.
Ces bienfaits pour nous, le sont aussi pour le reste de la société : de la baisse de la criminalité, à la baisse du coût social de la consommation de drogue qui se chiffre en centaine de millions d’euros, la société entière est gagnante.
Bien sur le système n’est pas parfait et il a le défaut de ses qualités : la grande accessibilité de la buprénorphine haut dosage (le principe actif du Subutex®), permet à un petit nombre de personnes peu scrupuleuses d’en profiter, mettant en danger l’ensemble du dispositif. Et il est du devoir d’une association de patients de dénoncer ces dérives, qui sont d‘ailleurs plus le fait de médecins et pharmaciens véreux et de trafiquants non usagers, que des personnes dépendantes très attachés à la préservation de ce système qui a changé leur vie.
Mais dénoncer sans arrêt les dérives de ce système sans en souligner les énormes bénéfice tant pour les personnes dépendantes que pour la société, revient à le condamner, à le laisser en proie aux grands tenants du tout sécuritaire, ceux qui voulait déjà que le Subutex® soit classé comme un stupéfiant. Alors que pour faire baisser le marché noir, il nous semble aussi important de traquer ceux qui utilisent ce système comme des trafiquants que d’adapter l’offre de soin et d’élargir la palette des produits de substitution.