L’usage de drogue dans la communauté LGBT est un sujet à la mode. Les mauvaises langues diront que l’arrivée du slam permet de renouer avec la vision classique de la consommation de substances illicites, une pratique « ordalique », du nom des jugements de Dieu pratiqués au Moyen Âge où la mort est une option assumée. D’autres, comme Thierry, préfèrent nous parler de la sociologie des drogues chez les gays, y compris dans ses aspects les moins politiquement corrects. Et si l’expression d’une certaine « toxicophobie » ramenait la communauté LGBT à l’endroit que la Manif pour tous leur refuse obstinément : une assez banale normalité ?
Depuis mes 15 ans et mon premier joint (ou depuis mes 7 ans et mon premier tube de colle), j’ai expérimenté toutes sortes de drogues récréatives dans divers lieux et soirées au sein des communautés gays. Les drogues font partie de la culture du clubbing gay ou sont consommées durant de grandes fêtes qui participent à créer une sociabilité commune, un rituel qui nous permet de nous retrouver entre nous, un peu comme certains hétéros ont leurs matchs de foot et leurs repas de famille. D’après diverses enquêtes, l’usage de drogues serait plus fort dans la communauté gay et lesbienne que dans ladite « population générale ». Les analyses les plus connes diront que c’est la preuve d’un mal-être identitaire et d’une souffrance. Je crois au contraire que c’est lié à une recherche de liberté, d’expérimentation du plaisir et à une déconstruction des normes sociales visant à contrôler nos corps.
DÉSINHIBITION OUI, DÉRESPONSABILISATION NON
Un des facteurs d’usage est également lié à la sexualité, qu’elle soit avec un seul partenaire ou en groupe, afin de multiplier les plaisirs et pour une plus grande performance dans la durée et les pratiques. C’est évidemment quelque chose qui inquiète fortement les pouvoirs publics puisque nous sommes bien connus pour être un « groupe à risque », « vecteurs de maladies » et de « risques sanitaires ». Cette crainte se retrouve dans la communauté gay elle-même, au point que l’usage de drogues, en particulier en contexte sexuel, est parfois assimilé à un « comportement à risque ». Régulièrement, des campagnes de prévention nous alertent sur les dangers de certains produits à la mode qui conduiraient à une plus grande prise de risque sexuels. Une année, c’est la guerre au GHB, l’autre, c’est contre la crystal meth, et ainsi de suite selon la panique du moment.
Ce qui est mis en avant est bien sûr le risque de désinhibition que peut faire ressentir tel ou tel produit, un message souvent entendu de la part des acteurs de prévention essayant de comprendre les raisons d’un manque ou d’une baisse d’usage de la capote. De façon intéressante, il faudrait souligner que le produit le plus souvent invoqué dans ces cas-là est l’alcool, et que cette drogue étant légale, elle suscite des recommandations de modération mais jamais de panique et de peur aussi forte puisque son usage est généralement bien plus connu et maîtrisé.
Pour ma part, je suis toujours quelque peu sceptique sur ces campagnes, car si je ne nie pas la désinhibition que peut causer un produit, mon vécu personnel me pousse à rejeter l’association un peu trop facile entre désinhibition et déresponsabilisation. Quand je me drogue, quand bien même je suis « grave défoncé », je conserve en moi une éthique morale, une sorte de « subconscient », diraient les psys, qui fait que je me refuse à être violent, à prendre ou faire prendre des risques, ou mettre en danger quelqu’un.
Et je ne crois pas être seul dans ce cas. Si l’usage de drogues peut révéler ou exagérer certains de nos comportements, peut-on vraiment blâmer un produit en particulier pour un comportement social ? N’est-ce pas plutôt que certains d’entre nous intériorisent les discours dominants toxiphobes et les reprennent à leur compte pour excuser et justifier leurs propres échecs, comme si « la drogue » était responsable de tout ?
DE LA « TOXICOPHOBIE » EN MILIEU GAY
Je n’ai pas de réponse définitive à ces questions car je ne voudrais pas généraliser à partir de ma propre expérience. Cependant, l’histoire de la lutte contre le sida nous a appris qu’alors que les usagers de drogues étaient considérés comme incapables de se protéger, ils ont au contraire prouvé être la communauté la plus responsable en systématisant les comportements de prévention et de protection au point que la prévalence VIH a très fortement chuté.
Ces articles dans la presse gay ou ces campagnes d’alerte ne participent-ils pas à une toxiphobie générale en hiérarchisant les produits et les usages, et donc, les usagers de drogues entre eux ? Ces hiérarchies symboliques nous divisent au point que certains pensent prendre des drogues sans être de « vrais drogués », car ils se sentent éloignés des images les plus stéréotypées sur les usagers de drogues, qui ne seraient que ceux souffrant d’addiction ou prenant ce produit que je ne prends pas, ou consommant de telle façon, ou encore appartenant à un autre groupe social.
De plus, chaque fois que j’entends ou que je lis un discours qui, pour ainsi dire, explique que « c’est la faute de LA drogue », j’ai le sentiment que cela contribue à la stigmatisation et aux croyances en l’abstinence comme seule solution à tous les problèmes liés aux usages. Cette vision me paraît mauvaise car j’ai toujours pensé préférables les logiques d’autodétermination et d’autoresponsabilisation des personnes.
Nous ne sommes pas des enfants. Nous devons apprendre à faire la part des choses et cesser de faire porter sur les drogues toutes les culpabilités quand ce ne sont pas les drogues en elles-mêmes qui sont le problème. Cette vision des choses est d’ailleurs très utile pour la classe politique car elle permet d’effacer le contexte d’usage, la stigmatisation, la criminalisation, la précarité, toutes ces choses dont elle est responsable et coupable, et non les drogues.
En analysant et exprimant par nous-mêmes ce que nous vivons, ce que sont réellement nos oppressions, en objectant à ceux qui veulent définir à notre place ce que seraient nos malheurs et nos souffrances pour mieux les instrumentaliser contre nous, en changeant le langage et les mots utilisés pour parler de nous, nous reprenons le pouvoir sur nos vies. Nous devons être des sujets politiques, pas leur objet d’analyse.