Autosupport des usagers de drogues

Slam & Chemsex

Slam & Chemsex

Le Chemsex, c’est faire l’amour en prenant des drogues. Slammer, c’est injecter des psychostimulants dans un contexte MSM (Men who have Sex with Men, hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, la terminologie consacrée par l’Organisation mondiale de la santé pour désigner l’homosexualité masculine). Mais attention, les slameurs MSM pratiquant le Chemsex nous emmènent dans le plus vieux pays du monde : celui du plaisir et de la morale.

 

SALAM SLAM

Le slam est une pratique décrite depuis une dizaine d’années aux États-Unis, puis en Angleterre. L’explosion de l’offre Internet de nouveaux produits de synthèse et des sites de rencontre ont accompagné ce phénomène. En France, cela fait environ cinq ans que les « slameurs » investissent les associations ou le secteur du soin via les services d’immunologie, les médecins généralistes et les urgences, généralement pour des complications somatiques cardiovasculaires, mais aussi pour des états psychotiques aigus de type paranoïa. Plus rarement, quelques centres d’accueil (Csapa) commencent à recevoir cette population pour des problèmes de dépendance, car la peur d’être jugé (sur l’usage de drogues, l’injection, le VIH) fait reculer les slameurs. « Slam », qui veut dire « claquer » en anglais, signifiant la puissance de l’effet, rapide et intense, exprime bien cette difficulté à se reconnaître comme usagers de drogues dans le monde gay (voir p. 26). Un plaisir sexuel puissant, immédiat, sans frustration.

 

QUELS PRODUITS ?

Ce sont des nouveaux produits de synthèse psychostimulants, principalement des cathinones comme la méphédrone (dont les effets se situent entre cocaïne et MDMA), mais aussi des dérivés amphétaminiques. Les usagers apprennent à les connaître et finissent par les sélectionner en fonction de leurs caractéristiques désirables et indésirables. Après la méphédrone, interdite en 2008, d’autres cathinones sont rapidement apparues. La 4-MEC par exemple, la MDPV et des mélanges tout prêts comme la NRG-2, NRG-3. Actuellement, ce sont surtout la 4-MEC et la 3-MMC qui sont recherchées.

Toutes ou presque augmenteraient la libido et le plaisir sexuel, en plus d’avoir les effets plus classiques des stimulants : euphorie, désinhibition, endurance, stimulation intellectuelle et physique, bien-être, lâcher prise, sensations fortes nouvelles. La 4-MEC est par exemple recherchée pour un effet court avec une montée forte, rush, frissons, relaxation, les usagers décrivant une érection très longue et forte. Composée en partie par la MDPV (cathinone considérée comme une des plus fortes mais aussi violentes), la NRG-3 l’est moins, car elle provoque assez fréquemment des états de psychose aigüe et/ou dépressifs qui ont fini par lui donner mauvaise réputation.
D’autres produits peuvent être associés, comme la cocaïne, la MDMA, le GHB, la kétamine, l’alcool, le Viagra®, surtout en début de session. Un mélange qui augmente notamment les risques cardiovasculaires. Les usagers plus réguliers consomment plus souvent des cathinones seules tandis que l’usage unique de produits peut devenir la règle dans certaines soirées où le sexe n’est plus vraiment de la partie.

Les deux choses qui m’ont le plus interpellée étaient l’usage en IV de produits dans une population peu concernée par l’injection et la proportion d’usagers séropositifs (plus de 90 % des personnes reçues à la consultation à Marmottan). Appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures, la plupart des premiers consultants avaient entre 35 et 60 ans, et ne prenaient pas de produits régulièrement. Les plus jeunes sont plus souvent séronégatifs, moins biens insérés et évoluent dans un milieu festif.

L’initiation se fait par les partenaires lors de relations sexuelles de groupe. Souvent rejetée au début, l’injection finit par être banalisée et déstigmatisée du fait de la bonne insertion des usagers semblant gérer leur consommation. L’accès facile aux drogues et aux partenaires par Internet, le plaisir éprouvé, l’endurance, la désinhibition permettant une sexualité plus débridée, séduisent nombre d’expérimentateurs.

 

LE PLAISIR DU RISQUE

Mais apparaissent en miroir des risques sexuels liés à la consommation. Échanges de seringues, relations sans préservatifs et doses massives de produits sont fréquents, et parfois recherchés. Outre les contaminations VIH, celles de VHC et d’autres maladies sexuellement transmissibles ont doublé, bref, l’absence de notions basiques de prévention virale et plus largement de réduction des risques (RdR) est avérée. Or tous ces risques sont en partie recherchés quand ils ne sont pas revendiqués. Tolérance aux produits et crainte de la frustration repoussent toujours un peu plus loin les limites. Le rapport à la maladie et à la mort est à interroger. On ne peut pas s’empêcher de penser aux conduites ordaliques (M. Valleur) : risquer sa vie pour mieux se la réappropprier et non la perdre, avec un déni du risque mortel. Que peut-on risquer de plus lorsque l’on est porteur du VIH ? Jusqu’où peut-on aller lorsqu’on a poussé très loin les limites de la sexualité ? La plupart ont commencé peu de temps après une annonce de séroconversion, parfois banalisée aussi bien au niveau des soignants que des usagers. Chez les hommes séronégatifs jeunes, on entend en consultation que la recherche identitaire, d’appartenance à une communauté, peut amener à désirer de manière ambivalente une séroconversion. Ce peut être une façon aussi de ne plus se poser de question quand ils trouvent des plans sexe. Parfois aussi, le risque est minimisé par le fait de se dire que la charge virale des partenaires est nulle, déniant ici les autres risques. Ce n’est pas sans rappeler les années 1980 où la liberté sexuelle avait fini par être mise très à mal par l’arrivée du sida.

 

femme_animREDUIRE LES RISQUES SANS REDUIRE LE PLAISIR

Depuis quelques temps, la RdR a fait son entrée. Inquiets pour eux et leurs partenaires, les usagers se mobilisent. Les associations plutôt orientées sexualité (comme Aides ou Le 190 à Paris) se sont mises à la RdR liés à l’usage, et ceux plus orientés addicto découvrent qu’il existe une réduction des risques liés à la sexualité. De nouveaux outils existent, comme l’analyse de produits (voir p.6) ou la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Sexualité et produits étant intimement liés, il faut pouvoir parler baisse des consommations, mais aussi retour de libido après l’arrêt des produits, érection sans produit… S’ajoute à tout cela la question du VIH, qui n’est toujours pas simple, banalisée par certains, rejetée par d’autres. J’entends encore dans le récit des patients les difficultés rencontrées lorsque l’on est séropositif, vis-à-vis de la famille, de l’entourage et des partenaires sexuels. L’isolement et la stigmatisation peuvent encore être très vivaces.

Enfin plus largement, c’est aussi la perception de l’homosexualité dans notre pays. Les lois changent mais les mentalités restent parfois très conservatrices. Le rejet des familles, de l’école, de certains milieux professionnels concourent à un vécu de souffrance, de dépréciation de soi faisant le lit de comportements à risques.

La société magnifie la beauté, la jeunesse, la performance, une sexualité libre, des valeurs qui peuvent être exacerbées dans le milieu homosexuel. On imagine comment la rencontre avec le Chemsex peut faire l’effet d’un flash, toujours à retrouver. Les valeurs véhiculées publiquement ne sont pas toujours ce que l’on entend en consultation, où c’est la solitude qui est finalement souvent mise en avant. À la croisée des chemins de la santé psychique et somatique, le slam interroge de manière générale la place de la sexualité et de la vie affective dans notre société. D’un côté, l’offre est toujours plus grande de produits, de sites, d’images porno et de valeurs de plaisir, de consommation, alors que de l’autre, on a toujours un discours de prohibition, de contrôle de soi, et de normalité. La prise en charge doit être plurielle et offrir aux gens des possibilités d’accueil en libéral, dans les associations et les centres d’addictologie, communautaires ou non. Communautaire et non-communautaire doivent travailler ensemble et apprendre les uns des autres. Soin et réduction des risques se complètent. L’accueil simple et l’information peuvent côtoyer la psychothérapie, la sexothérapie ou l’hospitalisation. C’est encore une fois la demande qui donne, ou pas, le sens et le besoin de soin. Il faut combattre le jugement en matière de consommation de produits et de sexualité car il n’y a ni bonnes ni mauvaises pratiques, comme il n’y a pas un seul type de prise en charge.

 

LES RISQUES DU PLAISIR

L’injection de produits puissamment psychoactifs entraîne des effets secondaires indésirables (dépression, paranoïa, angoisse), voire un craving (besoin irrépressible de consommer) intense. C’est d’ailleurs dans ce contexte que nous les recevons. Il semble par ailleurs de plus en plus difficile de trouver des plans sur les sites sans avoir des propositions de Chemsex. La dimension autodestructrice est présente chez certains usagers, notamment séropositifs, aux parcours de vie parfois très difficile. Il est évident que la situation de l’usager au moment de ces expériences est un facteur important du risque addictif.

Marmottan propose des consultations NPS, Chemsex et slam, avec hospitalisations possibles. Nous travaillons en lien avec les caarud d’Aides, Le 190, des médecins de ville, et le centre d’addictovigilance de Lariboisière pour les analyses de produits.

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